« Un voyage prouve moins de désir du pays où l’on va que d’ennui du pays que l’on quitte. »
Alphonse Karr
Souvenons-nous du temps où le voyage représentait non pas seulement une aventure, mais aussi une fuite aux allures de quête. Montaigne, dans ses Essais, disait : « Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche », plusieurs siècles plus tard Proust déclarait « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ». La dimension recherchée serait donc de fuir tout ce que l’on connaît, afin de découvrir, plus loin sur le chemin, un monde extérieur, nouveau, à même de révolutionner notre propre monde intérieur. Il faudrait ainsi se confronter à de nouvelles éthiques, des cultures dans lesquelles les notions de bien et de mal n’auront absolument pas les mêmes limites que dans les nôtres. De ces mœurs différentes, aperçues comme de nouveaux horizons, on ne peut tirer de leçons générales, si ce n’est qu’il n’existe pas de vérité absolue (Aldous Huxley admet d’ailleurs dans Tour du monde d’un sceptique que « voyager c’est découvrir que tout le monde a tort »). Les principes de justice et d’organisation sociétale diffèrent selon les endroits du globe où l’on se trouve. Huxley, toujours dans son Tour du monde d’un sceptique ira également en ce sens : « Pour se rendre compte qu’il faut de tout pour faire un monde, il faut le voir de ses propres yeux, au moins une partie de ce tout […] Mais si les voyages apportent la conviction de la diversité humaine, ils apportent aussi une conviction non moins forte de l’unité humaine. Ils inculquent la tolérance, mais ils montrent les limites qu’elle ne saurait dépasser. Les religions, les codes de morale […] varient à l’infini et chacun d’eux a droit à sa propre existence ».
Tout ce que nous pouvons faire (et c’est bien là l’intérêt !), c’est de tirer de tout cela des enseignements personnels.
Un exemple d’écart de mœurs : dans son Manifeste Vagabond, Blanche de Richemont raconte son voyage où elle se joignit à l’Azalaï, la caravane de dromadaire menée par les Touaregs, effectuant le transport du sel depuis les mines de Taoudenni jusqu’à Tombouctou. Sept cents kilomètres dans le désert, milieu justement bien éloigné de l’univers parisien. Lors des bivouacs les Touaregs, hostiles à la présence d’une femme, lui refuseront tout d’abord de manger en leur compagnie, autour du feu, ce à quoi elle s’opposera ; ils la laisseront ensuite faire mais diminueront ses rations d’eau et de nourriture. Le rapport de force entre eux sera tel que, après s’être luxée l’épaule en remontant sur sa monture, elle passera de longues heures à tenter, seule, de la remettre en place, sans pour autant demander à arrêter la progression de la caravane car sachant pertinemment qu’ils ne s’arrêteraient pas pour l’attendre. Cependant au lieu de la traumatiser, elle vécut cet épisode comme un enseignement, celui de « ne plus enfermer l’avenir dans des prédictions pour se rassurer ».
La véritable force du voyage passerait-elle par ceci ? L’exemple de Blanche de Richemont est assez violent, on peut largement avoir un choc culturel sans avoir à se démettre l’épaule. Mais, au-delà de sa blessure, c’est surtout une force infinie qu’elle a su trouver en elle, l’équivalent d’un second souffle mental. Dont elle saura ramener les conclusions chez elle, dans sa vie sédentaire.
Pour aller plus loin, on saura trouver les traces de ces fuites, à la recherche de leçons personnelles, dans d’autres ouvrages. Par exemple, Jean-Didier Urbain dans Secrets de voyage ouvre une réflexion sur la notion de mensonge durant les voyages. Certains s’inventent une vie auprès de leurs nouvelles rencontres, d’autres cherchent à faire disparaître leur passé, mais tous désirent oublier et dépasser leur condition en dehors du voyage, afin que, dans cette mythomanie, ils puissent se découvrir de nouvelles limites. On peut également songer à Il Faudra repartir de Bouvier, récit de sept voyages, éclatés sur plus de quarante ans. Plusieurs périples, donc, à différentes époques de la vie du fameux écrivain-voyageur. Tout autant de voyages d’apprentissage et d’initiation, avec des contextes fluctuants : un homme de vingt ans ne verra pas la Chine sous le même œil que son double vieilli d’une quarantaine d’année.
Un billet pensé et rédigé par Robin